De 2004 à 2021, la politique haïtienne ne fait que se dérouter et se dégrader beaucoup plus. Les principaux conflits sociopolitiques entrainent la déstabilisation de l’être haïtien qui ne sait où reposer la tête face aux conjonctures difficiles et fragiles du pays. Des évènements qui se sont succédé au cours de cet intervalle ont donné lieu à la montée d’une forme d’insécurité, celle d’enlèvement, communément appelé, le ‘’Kidnapping’’. Il est à noter que l’an 2004, date consacrée à la célébration du bicentenaire de l’indépendance nationale, a connu beaucoup de crises sociales, des tensions politiques énormes qui affaiblissaient toutes les institutions de l’État et créaient chez la population une situation de misère intense. Ainsi, depuis 2004 en passant par 2018, la prédominance des gangs armés redevient la principale source d’insécurité avec des cas d’enlèvement spectaculaires au début de l’année 2021[1].
En effet, nous lisons ce qui suit au niveau de : ‘’Canada : Immigration and Refugee Board’’ of Canada : ‘’Les enlèvements contre rançon sont à la base de l'insécurité en Haïti’’ (États-Unis 9 janv. 2007, Overall Crime and Safety Situation “ ; France 17 août 2006). Le phénomène s'est par ailleurs accentué à la suite du climat de violence qui a entouré le départ de l'ancien président de la République, Jean-Bertrand Aristide, en février 2004 (AP 21 juill. 2006 ; The Miami Herald 2 nov. 2004), et l'avènement du gouvernement de transition, d’alors (ICG 30 oct. 2006, 1). Ce type de violence est devenu courant depuis 2004 (HRW janv. 2007, 1 ; The Miami Herald 7 déc. 2005). Il constitue " un moyen relativement efficace de devenir riche rapidement " (ICG 30 oct. 2006, 8 ; The Miami Herald 2 nov. 2004). Par exemple, les enlèvements contre rançon auraient rapporté plus de 50 millions de dollars américains aux auteurs de ces crimes en 2005 (Haïti Impact 8 mars 2007). Les responsables de ces enlèvements sont généralement des bandes criminelles armées (AP 21 juill. 2006 ; États-Unis 6 mars 2007, sect. 1.b). Selon l'agence de presse ‘’Syfia International’’, ces dernières sont souvent aidées par des enfants de la rue qu'elles recrutent à cette fin (1er sept. 2006).
ÉVOLUTION DU KIDNAPPING À HAÏTI
De 2004 à 2021, l’insécurité et la violence politique en Haïti ont pris une nouvelle tournure, l’enlèvement communément appelé le ‘’Kidnapping’’. Celles et ceux ayant subi des cas d’enlèvement en Haïti, ont consenti de forte rançon pour avoir leurs libertés[2]. Par ailleurs, entre 2005 et 2006, il a été constaté que certaines victimes de cas d'enlèvement, malgré la rançon versée ont été " torturées ", tuées[3] ou violées. Ainsi, le 23 novembre 2006, dans un article publié sur ‘’AlterPresse’’ dont le titre est : ‘’Haïti : Amplification du phénomène du kidnapping’’, il est fait mention que dans deux semaines le nombre de cas d'enlèvement s'était accru et qu'une dizaine d'enlèvement avaient été commis[4]. Parmi ces cas, nous retenons : Farah Kerbie âgée Dessources de 20 ans, enlevée et exécutée[5].
En 2005, 760 enlèvements contre rançon ont été signalé officiellement[6]. Selon Amnesty International (AI), il y aurait eu plus de 1000 enlèvements entre mars et décembre 2005[7]. Cependant, le nombre d'enlèvement contre rançon a augmenté vers la fin de l'année. Ainsi, aurait-il atteint 8 à 10 enlèvements contre rançon par jour[8], comme en témoignent les 241 cas recensés par la MINUSTAH en décembre 2005 (ICG 30 oct. 2006, 5, 19).
En 2006, plus de 554 enlèvements contre rançon ont été signalés[9]. De janvier à novembre 2006, plus de 150 enlèvements se seraient produits dans la seule ville de Port-au-Prince, selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH, 6 déc. 2006). Selon le Washington Post, au début de 2007, les enlèvements contre rançon faisaient toujours partie de la réalité quotidienne d'Haïti (10 févr. 2007). L'International Crisis Group (ICG) a témoigné dans son rapport du 18 juillet 2007 que les enlèvements avaient réduit par rapport à l'année 2006. (18 juill. 2007, 1, 2).
Selon une interview accordée à la salle des nouvelles de la Radio Métropole, en date du 14 décembre 2007, les responsables de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), font savoir qu’environ 200 personnes ont été enlevées à Haïti. Ces enlèvements pour la plupart ont été enregistrés dans l’air métropolitaine de Port-au-Prince, a déclaré l’un des portes paroles de la MINUSTAH de l’époque, le sieur Mamadou Bah[10]. En effet, pour l’année 2008, on a dénombré officiellement 36 cas d’enlèvement, dont 15 touchent des enfants[11].
De 2009 à 2012 les cas de kidnapping s’aggravent en Haïti, mais de manière silencieuse. ‘’Institute for Justice and Democracy in Haïti (IJDH)’’, un organisme de défense des droits de l’homme situé à Boston, dans un rapport émis sur les cas d’enlèvement à Haïti en date du 27 avril 2012 nous apprend que les ravisseurs ont intimidé les otages de ne pas dévoiler le rapt aux autorités policières et judiciaires. Selon le rapport du Bureau de la Sécurité Diplomatique des États-Unis, 73 cas de kidnapping ont été enregistrés en 2009, 121 en 2010[12]. Enfin, de janvier 2020 à août 2021, Haïti a enregistré plus de 1229 cas de kidnapping[13].
En fait, le panorama des cas d’enlèvement qu’Haïti a connus de 2004 après le départ forcé de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide à juillet 2021 avec l’assassinat lâche et piteux de l’ancien président Jovenel Moïse, montre à claire les différentes formes que prend ce phénomène sur le territoire national. Par la gravité des cas, personne n’y est épargnée : pasteur, prêtre, fidèles, écolier, universitaire, médecin, avocat, policiers, marchand, homme d’affaire pour ne citer que ceux-là. Ce qui fait montre de la faiblesse de l’État à intervenir dans le but d’éradiquer le phénomène du kidnapping devenu un véritable nœud gordien pour le développement du pays. Par ailleurs, peut-on attribuer ce phénomène social au simple banditisme traditionnel, à la criminalité organisée, à la criminalité organisée transnationale ou à un réseau de mafia local ? Comment résoudre ce problème ?
Avant de répondre à ces questions, essayons de passer en revue certaines notions importantes relatives à la Criminologie : Banditisme traditionnel, criminalité organisée, criminalité organisée transnationale et réseau de mafia local.
Banditisme traditionnel
Le banditisme traditionnel, c’est un ensemble d’actes criminels commis dans une région, un pays déterminé; activité ou groupement criminels; criminalité[14]. Le banditisme traditionnel se comprend également par des actes illégaux perpétrés traditionnellement dans une société. Donc, dans le cadre d’Haïti, avant la croissance du crime d’enlèvement qui a pris de l’ampleur en 2004 sur l’ensemble du territoire national, on pouvait parler du banditisme traditionnel, car, des actes de vol, viol, spoliation etc. étaient monnaie courante.
Criminalité organisée
Selon les Nations Unies, la Criminalité organisée c’est un groupe structuré
de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de
concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves pour en
tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage
matériel[15]. Pour l’Union Européenne, C’est ‘’Une collaboration
entre plus de deux personnes [impliquant] des tâches spécifiques attribuées à
chacune d’elles sur une période assez longue ou indéterminée / avec une forme
de discipline ou de contrôle / suspectées d’avoir commis des infractions
pénales graves/ agissant au niveau international[16]’’.
Donc, par ces deux définitions données à la criminalité organisée, nous pouvons
dire que les cas d’enlèvement que le pays a connus depuis le départ forcé de
l’ex-président d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, sont assimilables à la
criminalité organisée. Le mode opératoire des criminels au cours de ces
derniers temps montre très clairement l’aspect de ce type de criminalité.
Criminalité
organisée transnationale
Selon les Nations unies, une
infraction est transnationale lorsqu’elle est commise dans plus d’un Etat, que
sa préparation s’effectue au moins partiellement hors de l’Etat dans lequel
elle est commise, que le groupe qui la commet opère dans plusieurs Etats ou
qu’elle produit des ‘’effets substantiels dans un autre Etat[17]’’.
D’après l’Office des Nations-Unies
Contre la Drogue et le Crime (ONUDC), la criminalité transnationale organisée (…) est une
industrie en constante évolution, qui s’adapte aux marchés et crée de nouvelles
formes de délinquance. Bref, il s’agit d’un commerce illicite qui transcende les frontières culturelles, sociales, linguistiques et
géographiques, et
qui ne connaît ni limites, ni règles. En effet, nous retenons que la traite des
personnes, le trafic illicite, le marché des organes, entre autres, est
attribuée à la criminalité organisée transnationale. Donc, puisqu’il a été question
dans ce travail de dire si les actes de kidnapping perpétrés dans le pays de
2004 à 2021 se rapportent à la criminalité organisée transnationale, nous
pouvons avancer d’une part oui, si les cas de kidnapping sont soldés à la vente
des organes des kidnappés, et s’il s’agit de la traite des personnes. D’autre
part, nous disons non, si les actes d’enlèvement enregistrés dans le pays y
restent.
Réseau de
mafia local
Selon la thèse des anthropologues, la mafia, perçue comme une forme
culturelle ancrée dans la société sicilienne plus que comme une organisation
structurée, est le produit de la permanence de modèles traditionnels de
l'organisation sociale et de la légitimation du pouvoir qui s'explique par
l'incapacité de l'État italien, au lendemain de l'Unité, d'imposer en Sicile
ses propres normes de légitimité et ses propres règles de fonctionnement[18].
Considérant cette thèse, nous déduisons que le mafieux même quand il enfreint
la loi établie par ses actions violentes, est un "homme de respect"
(…) un citoyen honoré dans sa commune ; il ne vit pas, comme le bandit, dans
une situation précaire. Sa position est légitimée du point de vue de la morale
populaire, en particulier parce que son activité ne vise pas simplement à
satisfaire ses propres besoins mais parce qu'elle assume une fonction de
protection et de médiation [...]. (Hess, 1970). Donc, le comportement des
criminels dans certains quartiers précaires d’Haïti a trait au réseau de mafia
local. Ces mafieux jouissent de bonne presse dans leurs zones, car, ils partagent
avec les habitants de ces milieux le produit de la rançon recueillie entre les
mains des parents ou des proches des victimes.
In fini, nous avançons sans ambages que le mode opératoire des criminels en
Haïti est multi-faciale et pluridimensionnel. Ce qui laisse croire que
l’évolution du kidnapping dans le pays de 2004 à 2021 passe de simple
banditisme au réseau de mafia local. En effet, le renforcement et la
modernisation du système judiciaire, la restructuration de la Police Nationale
d’Haïti (PNH), l’éducation de la population sur les conséquences négatives du
phénomène ‘’Kidnapping’’, entre autres, peuvent aider à mettre tout en ordre
dans le pays.
Crédit photo : Google, consulté le 31 mars 2022 à 14 hs.
31/03/2022
Delcarme
BOLIVARD,
Avocat-Conseiller
à l’OABCH
Doctorant en
Criminologie
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
1-
Agence haïtienne de presse (AHP). 5
septembre 2007. " Baisse du nombre de crimes et d'enlèvements au mois
d'août 2007 " consulté le 28 mars 2022 à 13 hs
2-
Amnesty International (AI). 23 mai
2006, 2010-2018. " Haïti ". Amnesty International Report 2006,
consulté le 29 mars 2022 à 17 hs
3-
Canada : Immigration and Refugee Board
of Canada, Haïti : fréquence des enlèvements contre rançon ; groupes
ciblés par les kidnappeurs ; mesures prises par les autorités pour lutter
contre les enlèvements (2004-2007), 14 February
2008, HTI102506.F, available at: https://www.refworld.org/docid/4804c061c.html consulté
le 30 mars 2022 à 10 hs AM
4- États-Unis
(É.-U.). 6 mars 2007. Department
of State. " Haiti ". Country Reports on Human Rights
Practices for 2006, consulté le 28 mars 2022 11 hs AM
5-
Haïti Impact. 8 mars 2007.
Kathleen Desravines. " Kidnapping : le monopole absolu de la nouvelle
industrie ! ". International Crisis Group (ICG). 18 juillet 2007. "
Consolider la stabilité en Haïti ". (Rapport Amérique latine/Caraïbes n°
21) consulté le 30 mars 2022 à 8 hs AM
6-
Le Nouvelliste [Port-au-Prince].
21 mars 2007. " Drogue, kidnapping, gangs, déportés et autres sujets, le
Directeur général fait le point ", consulté le 1 octobre 2021 à 12 hs PM
7- Nations Unies.
30 mars 2007. Service d'information des Nations Unies. " Haiti: UN to Help Local
Authorities Fight Rash of Child Kidnappings ", consulté le 28 mars 2022 à
3 hs AM
8- The Canadian Press. 6 décembre 2007.
" Child Kidnappings Reported Across Haiti, at Least 14 Abducted in Recent
Weeks ", consulté le 29 mars 2022 à 20 hs
9-
The Miami Herald. 7 décembre 2005. Joe
Mozingo. " Abductions for Ransom Soar in Haiti; Haiti Has Replaced
Colombia as the Kidnapping Capital of the Hemisphere. Anyone Who Has Any Money
Is at Risk of Being Snatched ". (Factiva)
10- 12 février 2007. " Haïti : une cinquantaine d'enfants kidnappés en décembre 2006, selon la Mission des Nations Unies ", consulté le 3 mars 2022 à 10 hs AM
[1] https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2005/07/15/haiti-de-nouveau-en-proie-a-une-vague-d-enlevements-avec-sevices-et-meurtres_672822_3222.html
[2] États-Unis 28 févr. 2005,
sect. 1.b
[3] Ibid.
[5] Ibid.
[6] États-Unis 6 mars 2007,
sect. 1.b
[8] (The
Miami Herald 7 déc. 2005),
[9] (États-Unis
6 mars 2007, sect. 1.b)
[12] The Miami Herald 1er sept.2010
[15] Notes de cours : Crime organisé, Module 1, dispensé par le
professeur Jean-Élifaite GUÉ, dispensé automne 2021
[16] Ibid
[17] Nations unies, Assemblée générale, 2000, p. 5
[18] Notes de cours : Crime organisé,
Module 2, dispensé par le professeur Jean-Élifaite GUÉ, dispensé automne 2021
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