mardi 30 avril 2019

DISCOURS D'UN CITOYEN ENGAGÉ TUÉ LORS D'UNE MANIFESTATION POPULAIRE

‘’Se pa sèlman Kakout ki pran bal,
se avni tout yon jenerasyon jenn fanm ak jenn gason ki trennen nan labou
anba grenn je konsène yo.’’
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Par : *Delcarme BOLIVARD*

Ma chère famille, les autorités étatiques, mes concitoyens,

 _"Oh! Dieu, il est mort pour avoir voulu défendre les intérêts de son pays et soutenir ses droits comme citoyen conséquent. Que Dieu accueille son âme dans le firmament."_ Voilà les derniers mots que j’aie pu retenir avant que je ne me reconnaisse dans un lieu inexploré.

Mesdames, messieurs.

Dès l’aurore, je laissais ma  maison avec l'idée d'y retourner après ma participation citoyenne à une manifestation populaire organisée par une quantité de femmes et d'hommes honnêtes qui se persuadent de pouvoir changer l'ordre des choses dans le pays. Mes parents, mes amis attendaient impatiemment mon retour, mais, hélas ! je suis parti pour "l'infini" sans voir de près et de loin  une lueur d'espoir pour la croissance de mon pays.

M'impliquer dans les affaires sociopolitiques d'Haïti, ne m'a jamais été une préoccupation voire une prétention, car, on m'avait toujours relaté que ceux-là dont la présence se fait sentir à travers des séries de manifestation populaire, étaient tous des va-nu-pieds, des obtus ne s'y engageant que par la force de la manipulation d'une couche sociale, appelée incorrectement par les vivants  prédateurs, les bourgeois. Par mon intégration dans ce nouveau paradigme, en dépit de mon inaptitude première et de ma débilité consciente de la nature des choses, j'avais voulu contredire les idées fausses des détracteurs en leur permettant de savoir que comme en Droit pour intenter ou tester une action en Justice, il faut : *le droit*, *la capacité*, *la qualité* et *l'intérêt* ; mon apport et mon inscription à ces genres d'activité étaient beaucoup plus herculéennes que ma volonté et ma capacité intellectuelle. Pourtant, m'y trouvant pancartes en mains avec des  mots de revendications développementales, en compagnie de tous ceux qui croyaient fermement au changement durable pour le pays, une balle assassine de loin m'a été donnée par un *"je ne sais qui"* m'empêchait de continuer la lutte.

Contre la corruption, le pillage des biens de L'État, la misère, l'instabilité sociopolitique, l'insécurité de toutes sortes, l'inconscience et l'incompétence des dirigeants, l'ingérence de l'international, le marchandage politique de l'opposition, la déroute du système éducatif haïtien, la débâcle de l'économie nationale, le retrait du développement ; entre autres, étaient les motifs pour lesquels j'avais intégré ce mouvement consistant à chambarder le mode de fonctionnement du système politique national. Aucune disposition sérieuse n'était prise dès lors par les autorités étatiques pour freiner la course de la machine insécuritaire qui m'avait touché sur sa route, son passage, et bien d'autres citoyens encore. Au lieu de nous protéger comme les vœux de la Constitution haïtienne en vigueur dans notre mouvement, les dirigeants, de concert avec certains pays de l'international et des opposants sous peau, nous tuent, humilient nos rêves sous des projectiles illégaux pour la plupart venus de *"je ne sais où."* Mon corps ‘’hache menu’’ d'une odeur puante laissée aux chiens, dévorée ma dépouille sous l'ovation de mes adversaires croyant qu'il est bon ainsi de terminer sa vie, surtout, quand on comprend précisément la manigance du pouvoir en place et qu'on  refuse de s'y associer.

J'ai découvert que là-bas, les morts n'ont pas de vocations, ils sont enclos dans leurs paléo-visions, acceptent sans condition leurs causes et ce qu'ils sont aujourd'hui par le vouloir de l'au-delà de la vie. Ils se taisent pendant qu'ils continuent d'entendre le gémissement d'un peuple en agonie, parti très loin de sa terre natale pour avoir un mieux-être qui lui était une utopie dans son propre monde. J'ai aussi découvert que là-bas, les dirigeants sont comme nous, dénués de pouvoir sociopolitique et d'arrogance économique. Ils sont ce que nous fûmes instinctivement sur terre.

Ma famille, je pense à vous pour votre support et soutien. Vous n'avez jamais rêvé qu'un jour ainsi je finirai ma vie. Mais la conscience citoyenne et le devoir patriotique m'avaient interpellé, tant pis pour la mort, je poursuis mes rêves pour le bonheur de mon pays. Dites et racontez mes prouesses aux générations montantes ce que je représentais ‘’vivant’’.

Aux autorités étatiques, je dirai, à quand finira-t-on de compter les cadavres des citoyens qui se déterminent et se révoltent pour un Haïti se fixant vers le progrès et le développement durable? A quand, dirais-je, les larmes cesseront de ruisseler les yeux des familles en lambeau pour la perte d'une fille, d'un fils voulant dire non à la corruption institutionnalisée dans le pays. A quand, dirais-je, le vote des citoyens sera respecté et revenu sous forme de développement et des services résultant de leurs taxes? A quand, dirais-je, la Justice se montrera forte et puissante pour conduire n'importe quel dossier dans le pays? A quand...? A quand...? Oui, à quand...?

Mes chères concitoyennes et concitoyens haïtiens, ma mort me permet de comprendre que vous devez continuer à revendiquer pour soutenir vos droits et intérêts, car, votre vrai lieu vivable est où que vous soyez, la terre. Ne vous laissez nullement intimider par quiconque dans vos mouvements protestataires. Luttez, luttez jusqu'à ce que votre voix soit entendue et écoutée. Continuez à vous battre pour redorer l'image d'Haïti qui semble être usée et fatiguée sous la violence de toutes sortes des femmes et des hommes que nous avons choisis aux fins de la direction de notre avenir.

J'avais oublié, de surcroît, de signaler dans ma triste intervention qu'au moment où je me suis tortillé par terre sous les yeux inhumains de certains de mes concitoyens, au lieu de prendre mon cas au sérieux, vue l'urgence, au lieu de me venir en aide afin que j'aie pu sauver; préféraient de me photographier souriant et se battant pour savoir qui le premier sera à me poster, baigné de sang, sur son mur de "Facebook", son compte de "whatsapp" pour ne citer que ces réseaux sociaux. C'est vrai à Haïti, le service des hôpitaux est toujours dysfonctionnel, mais un simple geste pourrait me faire revivre. J'en pleure sincèrement quoique mort.

En effet, je crois qu'ici la mort n'est pas un bien. Elle n'est non plus une force à utiliser pour sauver un pays comme le nôtre. Les morts ont tous leurs lots de misère et de souffrance, la charge de sauver la barque fragile de la République d’Haïti est aux vivants conséquents, valeureux et conscients.

La mort nous écarte de toutes les possibilités à pouvoir continuer à lutter pour son pays. Merci.

 *Delcarme BOLIVARD, Av. MA*
03/04/2019

Conception de photo : Fils Du Christ Ambroise

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